Temoignages : Contre la gestion organisée de la misère…

 

A RENNES, LES EXILE.E.S SONT TOUJOURS A LA RUE.
CONTRE LA GESTION ORGANISEE DE LA MISERE, PASSONS A L’ACTION !

Voici un texte écrit par des bénévoles et soutiens présent.e.s sur place aux cotés des exilé.e.s lors de l’expulsion de deux campements, ordonnée et menée par la préfecture, ce matin du 5 octobre à Rennes.

Ce témoignage est précieux pour comprendre cette crise.
Ceci n’est pas un énième récit misérabiliste sur la situation des exilé.e.s en France, même si il est nécessaire d’éclairer sur cette réalité, mais plutôt un appel à sortir de la résignation et de la gestion froide de ce cycle infernal pour envisager des actions plus directes…

EXPULSION AU PETIT MATIN, UNE ROUTINE BIEN ENCADREE

« Mercredi 5 octobre 2022, 6h30.
Aux portes du centre-ville, le square de La Touche accueille une centaine d’exilé.e.s sous des tentes, beaucoup de familles et de jeunes enfants entassé.e.s ici depuis plusieurs mois suite à l’évacuation d’un gymnase occupé au printemps dernier.

Le soleil n’est pas encore levé, on passe déposer du café au campement et sur la route on croise des camions de flics allant dans la même direction. Les exilé.e.s et leurs soutiens attendaient ce moment depuis trois semaines, sans connaitre le jour exact ni sans savoir quel sort leur serait réservé. La plupart ont déjà été confrontés à une évacuation : iels connaissent la procédure et attendent avec anxiété.

Dans le noir et le froid, l’évacuation commence, ici et en même temps au parc St-Cyr à quelques centaines de mètres de là. Un autre campement mais un scénario similaire : les flics verrouillent les accès, pressent les gens à s’organiser et à former une file d’attente pour recevoir les directives quant à leur avenir.

Un.e par un.e les exilé.e.s passent devant un.e employé.e de la préfecture. La procédure est froide et déshumanisante. La préf est venue avec ses flics mais aucun.e traducteur.ice n’accompagne le dispositif. Les exilé.e.s pour la plupart ne comprennent même pas les papiers qu’on leur remet. Le rôle de traducteur.ice incombe le plus souvent aux enfants, ces dernier.ère.s assument la lourde charge d’annoncer à leurs proches le verdict de la préfecture. La révélation de savoir si oui ou non iels auront un toit sous lequel dormir le soir même et si iels seront une fois de plus menacé.e.s d’expulsion du territoire. Les enfants ont l’habitude, iels endossent déjà quotidiennement la responsabilité de réaliser les démarches administratives et de faire les interlocuteur.ices avec les autres personnes. Pas d’école pour elleux aujourd’hui, iels patientent affaires en main avec leurs parents qu’on leur annonce la suite.

Une maman me confie que sa jeune fille adolescente avait un contrôle de maths important aujourd’hui, elle est très inquiète car l’année prochaine sa fille passe le baccalauréat et elle ne sait pas dans quelles conditions elle pourra le travailler…
C’est toujours le même problême : si c’est déjà compliqué pour des adultes en bonne santé, la vie à la rue est impensable pour des enfants. Alors que les jours se raccourcissent, qu’il n’y a pas ou peu d’éclairage et que les températures baissent, envisager sereinement de réviser ses cours et de faire ses devoirs est impossible.

C’est à leur tour à présent, l’employé.e de la pref leur tend un document et leur dit simplement : « Voilà, vous signez le papier et vous venez le 16 à St Jacques, ok suivant ! »

Je demande à la famille si iels ont compris, iels me font non de la tête. Je regarde le document qui n’est pas une proposition d’hébergement mais une convocation à la Police Aux Frontières (PAF). Alors iels m’interrogent, me demandent quoi faire maintenant, où trouver un hébergement, où dormir ce soir…

L’impuissance…On voulait y croire cette fois-çi, un hébergement même pour quelques semaines. Et bien non, iels nous la foutent à l’envers. On nous a tellement rabaché que l’Etat de droit veillerait à la plus élémentaire des sécurités – le droit à un toit et tout ça – qu’on y a cru. Qu’iels réquisitionneraient si besoin quelques immeubles vides… Et leur putain de mythe il tient encore.

On pensait que parquer tout le monde au même endroit faciliterait les procédures d’hébergement d’urgence, au final ce que ces exilé.e.s recueillent c’est surtout des convocations à la PAF pour se faire expulser du territoire.
Iels arrivent à nous manipuler assez subtilement pour qu’on ait l’impression d’être utile, de faire ça pour les familles, de les défendre, d’agir concrètement.
Finalement on devient presque des auxilaires de prefecture, on leur facilite le taf, iels n’ont plus qu’a venir de temps en temps pour distribuer les convocations administratives comme on distribue des petits pains.

D’UN CAMPEMENT A L’AUTRE, UN CYCLE SANS FIN

Pour ces familles, attendre l’expulsion pendant plusieurs semaines c’est un stress supplémentaire, une accumulation de plus après des mois, des années sous des tentes ou à s’entasser dans des lieux inadaptés.

Toutes les familles ont le même espoir : être relogées. Pourtant une grande partie d’entre elles n’auront aucune solution de « mise à l’abri ». [75 personnes sur 147 seront temporairement relogées]

L’intervention de la pref arrive presque comme un soulagement pour certain.e.s, un espoir vite douché d’avoir une solution même temporaire.

Quasiment la moitié des personnes expulsées ce matin même se retrouvent réinstallées en tente. Les solutions de « relogement » proposées par la préfecture se résume à quelques jours en hôtel ou en centre d’urgence : même les plus chanceux.ses se retrouveront quelques semaines plus tard dans un autre campement, un autre parc de la ville, un même cycle sans fin.

Mais pour l’instant il faut récupérer les tentes et les remonter ailleurs, faire des allers-retours pour aider l’ensemble des exilé.e.s, « relogé.e.s » ou non, à faire le déplacement puisque évidemment aucun moyen de transport ne leur a été proposé.

Certaines familles n’ont pas pu récupérer leurs affaires, elles crient devant les grilles du parc. Les flics nous observent et rigolent de la situation. Les services de la ville passent et ramassent les restes ne laissant aucune trace de ce campement, comme si personne n’avait vécu ici ces derniers mois.

Le parc des Hautes Ourmes sert de nouveau lieu « d’accueil », certain.e.s reconnaissent les lieux pour y avoir déjà campé par le passé… Après l’expulsion, la majorité des exilé.e.s sont alors sans matelas ni couvertures…pour cette nuit et les suivantes.

Les gens sont épuisés, iels sont en colère, ce serait peut-être le moment d’agir… Mais honnêtement je n’ai pas la force, je suis aussi épuisé.e de cette journée, je ne sais même pas si j’y crois. Eux non plus. On monte les tentes et je pars, je ne peux pas rester c’est trop, jsuis vidé.e.

L’inter Orga de soutien aux personnes exilées tente de réunir du monde devant la mairie pour marquer le coup, pas plus d’une dizaine de personnes seront présentes… les portes sont closes et bien tenues.

L’ETAT DELEGUE SON TAF AUX ASSOS ET A LEURS BENEVOLES !

De cette matinée, les médias se contenteront de relayer le récit de la préfecture, soulignant « la mise à l’abri » de certain.e.s sans détailler ni leurs conditions d’hébergements, ni la durée.
On versera dans la pathos sans jamais interroger la responsabilité de l’Etat ni celle de la municipalité, cette dernière trop fière d’annoncer qu’elle fait déjà plus que les autres… Et comme pour chaque hiver elle fera sa double page dans les journaux pour vanter ses abris d’urgence en pariant sur le fait qu’aucun journaliste n’ai la jugeote de vérifier et de se rendre compte qu’il ne s’agit que de 3 bungalows de chantier avec des lits de camps ouverts quelques heures la nuit…

Quant à la procédure d’expulsion de la préfecture elle est maintenant bien rodée, milimétrée. La pref ne veut pas d’images chocs qui pourraient indigner le citoyen lambda.
Alors elle délègue la gestion et la pacification aux associations qui servent d’intermédiaire entre les forces de police et les personnes à la rue.
L’Etat, en effet, a besoin d’auxiliaires civils pour l’aider à contrôler, organiser et gérer la misère.
Une gestion mécanique et strictement humanitaire rarement remise en cause par les assos : l’habitude et le sentiment de faire au mieux pour ne pas aggraver une situation déjà précaire.
Mais cette charité empêche aussi l’auto-organisation et les luttes qui pourraient enfin apporter des solutions concrètes sur le long terme. Si le milieu associatif met souvent en avant son principe de neutralité politique, il oublie aussi que la neutralité choisit toujours son camp : celui du pouvoir.

Moi même je n’arrive plus vraiment à comprendre ce que je ressens face à tout ça. Depuis un moment pourtant j’ai moins la tête dans le guidon, je ne suis plus de celles et ceux qui sont quotidiennement sur le terrain. Soit on déserte, soit on se blinde. On revoit les mêmes personnes d’une année à l’autre. Voir ces enfants grandir, ces familles s’aggrandir, ces adultes vieillir et leur état de santé se détériorer. Le contexte qui m’amène à revoir régulièrement ces personnes fait que j’aimerais ne plus jamais les croiser.
On s’interroge sur le sens de nos actions. Au final, nous faisons le taf de l’Etat, bénévolement, on tente de boucher les trous que son système creuse, et on s’épuise dans cette tâche sans fin.
Et si on s’arrêtait ? Pour que l’Etat prenne ses responsabilités, mais les prendrait-il ?

C’est ce qui revient toujours sur le terrain, ce sentiment d’impuissance individuelle et collective, cette voie sans issue.
Pourtant les exilé.e.s veulent se battre et nous aussi !

CONTRE LA RESIGNATION, ON PASSE EN FORCE !

Heureusement avec le temps et les rencontres on découvre une autre réalité. Autre que cette gestion quotidienne qui nous désarme, qui nous empêche de prendre du recul ou d’envisager une alternative.
On le sait pourtant, beaucoup d’exilé.e.s vivent en squat, le plus souvent en maison, sans dépendre d’aucune assos et encore moins de l’Etat. Une vie précaire mais moins que celle qu’on leur offre dans ces campements.

Alors si on cessait d’assumer ce rôle strictement humanitaire pour envisager cette situation dans son contexte politique et social, que la domination actuelle ne repose pas que sur le seul pouvoir de la matraque mais aussi sur l’intégration de ces mécanismes de contrôle qui rend l’individu acteur de son propre écrasement.

Et alors on ne se contenterait plus seulement de penser notre action dans le cadre prévu par le pouvoir, pour décider collectivement de nos pratiques qui ne seraient dictées que par notre objectif.

Et si on arrêtait de demander sagement, si on enfoncait les portes de la mairie et de la pref comme on ouvre au pied de biche ces propriétés vides de gens. Si on arrêtait d’appeler au calme et à la responsabilité tant que des gens se les caillent dehors.

Contre la machine à expulser,
contre la gestion de la misère,

Brule la PAF, brule la pref !